Claudien, poète du monde, compte-rendu de la conférence de Florence Garambois-Vasquez

L’assemblée générale du 18 septembre 2013  a été conclue  continue par une intervention, particulièrement vivante et intéressante, de Florence Garambois-Vasquez intitulée « Claudien, poète du monde »,

Claudien est un poète méconnu, même s’il est fait de lui une brève mention dans A rebours. Du coup, F. Garambois-Vasquez se propose de faire un panorama de son œuvre.

Claudien a vécu au IVe s. ap. J.-C.,de 393 à 404, dans l’empire romain d’Occident. Sa destinée est pleine de mystères, et sa vie se confond avec son œuvre : il fait preuve d’une farouche volonté d’être poète dès l’origine. Sa langue est très proche de la langue virgilienne ; il aura touché à tous les genres littéraires, des petites épigrammes sur le quotidien à la grande épopée et aux poèmes épidictiques.

Sa vie est mystérieuse. On ignore les conditions de l’arrivée à Rome, aux environs de 393, de ce Grec d’Alexandrie. On ignore tout des années 400-402, où il n’écrit pas ; il disparaît en 404, peut-être à la suite de la fin de la régence de son protecteur semi-vandale Stilicon, né d’un père vandale et d’une mère romaine. Claudien écrit en latin, sauf une Gigantomachie et quelques épigrammes en grec. Il fut le moyen pour Stilicon de légitimer sa poésie. Il écrivait au sein d’une cour christianisée, alors que lui-même est païen avec, un peu comme Ausone, un engagement un peu distant et non de combat.

Son œuvre est étonnante : il a touché à tous les genres, et sa poésie est marquée par un ancrage dans l’actualité du moment. On peut dégager de son œuvre un certain nombre de principes :

L’œuvre de Claudien présente une profonde unité, contrairement à ce que l’on a longtemps dit : une grande partie de son œuvre a longtemps été méprisée, mais tous ses poèmes témoignent de la même vision du monde. Ils sont en résonance et approfondissent certains partis-pris esthétiques amorcés dans les grands poèmes de circonstance. Claudien aime les constructions et les architectures soignées, subtiles, avec des jeux d’écho entre les poèmes. On en trouve un bon exemple quand Claudien recourt au mythe : dans le Rapt de Proserpine, Claudien décrit la tapisserie de Proserpine, où cette dernière brode l’univers, quand elle se met à pleurer : arrivent alors Diane et ses acolytes, qui l’amènent cueillir des fleurs, activité durant laquelle Pluton l’enlèvera. Cette tapisserie, qui représente donc l’univers, indique la disparition du chaos, l’ordre restauré, le triomphe de la nature, sans exclure l’être humain, contrairement à Ovide. On retrouve cette vision du monde à peu près partout chez Claudien : Proserpine est l’enjeu du fatum, mais la tapisserie est inachevée, l’aiguille est suspendue : on doit y voir une sorte de résistance de l’être humain face à l’ordre des dieux. Cette tapisserie trouve son pendant dans les poèmes politiques, par exemple dans le panégyrique en l’honneur du jeune Honorius, fils de Théodose et empereur d’Orient à seulement 14 ans (d’où la régence de Stilicon) : on retrouve ce thème dans la description de la trabée, costume que revêt le jeune empereur au moment de son consulat. Ce tissu représente la volonté de l’Occident de faire régner une harmonie, d’éviter la rupture avec l’Orient, mais justifie aussi la politique de Stilicon. Ce motif de l’harmonie du monde se retrouve aussi dans des épigrammes qui traitent de petits objets précieux.

La notion d’ordre établi, ce qui est d’ailleurs une constante au IVe s., sans doute à cause de l’instabilité des frontières de l’époque. Ce besoin d’ordre se manifeste par un goût marqué du locus amoenus, notamment dans les royaumes divins et les mondes lointains, sorte de topothésie qui permettent de mettre à distance le monde contemporain et les menaces qui pèsent sur l’empire. Ce thème rejoint celui de la Roma aeterna, très répandu au IVe s. Chez Claudien, il y a une utilisation très subtile du nom de Rome : outre les personnifications, les prosopopées parfois très vivantes (ex Rome vieillie prématurément du fait de gildon), la mise en scène mythique , il y a une présence du mot Roma jusque dans le tissage du texte . Claudien inscrit souvent le mot ROMA en combinant acrostiche et téléstiche , voire en pratiquant l’anagramme et le palindrome amor /roma

On peut aussi évoquer l’image du phénix, auquel Claudien consacre un poème ; ce mythe connaît une grande vitalité dans l’Antiquité tardive (iconographie, numismatique…), et illustre encore une fois les notions de permanence et de transcendance.

Découlant de ce thème, le maintien des équilibres du monde, foedera mundi, grâce à Stilicon, le seul capable de maintenir l’équilibre fragile entre Orient et Occident.C’est ce credo quiu justifie le recours à la violence. La poésie de Claudien est une poésie violente, qui se délecte par exemple du meurtre de Rufin, qui dirige l’Orient, ou de la description de l’eunuque Eutrope. On y trouve aussi beaucoup de violence contre Alaric. Cette violence est contrebalancée par un certain émerveillement devant le monde, où l’homme et la nature sont en harmonie – Claudien est fasciné par la perfection de la création – ; elle l’est aussi par sa curiositas devant ce que peut accomplir l’homme (voir par exemple son épigramme sur la sphère d’Archimède). Claudien montre un goût prononcé pour les mirabilia. La violence est enfin contrebalancée par la beauté de la recherche formelle de l’écriture ; il y a dans sa poésie une grande dimension réflexive, qui n’est pas limitée aux préfaces et prend des formes très variées. Finalement, sa poésie cherche une originalité dans le mélange des genres, ce qui est courant au IVe s., époque de grande perméabilité générique.

La poésie de Claudien est une poésie triomphaliste, qui chante la politique de Stilicon ; parce que l’empire est chancelant, il faut en chanter résolument les triomphes et croire en son éternité. On ne trouve pas chez lui d’accent religieux comme chez Prudence ; sa poésie est brillante et érudite mais, contrairement à celle d’Ausone, n’est jamais hermétique.

Une question est posée sur la réception de cette poésie par ses contemporains : F. Garambois-Vasquez explique que l’on a retrouvé à Milan une base de colonne qui la célébrait, ce qui prouve sa notoriété. Cette dernière a d’ailleurs pu être dangereuse pour Claudien à cause de son engagement en faveur de Stilicon.

Une autre question est posée sur le mode de diffusion de la poésie à cette époque : elle se fait par des recitationes. La première collection manuscrite des œuvres de Claudien apparaît très tôt. On connaît pour la plupart de ses poèmes les dates et circonstances de leur récitation.

Une dernière question est posée sur les différences entre l’écriture de Claudien et celle de Virgile ? Claudien fait preuve d’audaces que l’on ne trouve pas chez Virgile ; on trouve aussi des différences très subtiles dans la scansion.

 

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